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Place de Mai

Une chorale d’ex-prisonniers politiques : chanter pour résister


« Allons camarade, courage, ceux tombés sont notre mémoire, de la résistance à la victoire. Cette manie de tuer va cesser…». Les voix s’échappent de la petite porte d’un local politique tapissé d’affiches, dans le quartier de Palermo, au cœur de Buenos Aires. Chaque semaine les choristes de Coro Quiero Retruco se retrouvent pour entonner en chœur des chansons engagées formellement interdites par la junte militaire pendant les années noires. Certains sont des anciens militants Montoneros, d’autres de la Jeunesse Péroniste ou encore du Partido Revolucionario de los Trabajadores (PRT). Tous les membres sont des ex-détenus politiques ou des proches de victimes de la dictature.


Le chant comme thérapie


Formée en 2010, cette chorale sert de thérapie pour panser les plaies de la torture et des années de prison mais aussi comme devoir de mémoire. Les choristes, qui partagent une histoire commune, interprètent un répertoire de chants contestataires, hérités de la révolution espagnole ainsi que des airs composés par les prisonnières elles-mêmes pendant leur détention. « Companera » - « Camarade » - écrite par une ancienne détenue aujourd’hui décédée est ainsi devenue l’hymne de la prison pour femmes à Villa Devoto. « Nous la chantions à chaque fois que nous devions nous séparer » confie Elsa Chagra, choriste et ancienne détenue .

 « Ce fut d’une violence extrême » se souvient Patricia, une autre membre qui a fait partie de la chorale clandestine qui fonctionnait à l’intérieur de la prison Devoto à Buenos Aires. Comme le morse, les sifflements, ou le langage des signes, le chant leur permettait de communiquer entre elles mais aussi de se soutenir moralement. A défaut de ne pas se voir, ni se toucher, leurs voix, elles, transperçaient les murs et les barreaux de leurs cellules. « Certaines d’entre nous montaient la garde, pour voir si les militaires étaient dans les parages. Nous grimpions à la fenêtre et nous commencions à chanter, en attendant que les autres détenues chantent à leur tour » poursuit-elle. « Faire partie de cette chorale nous permet de revendiquer à travers le chant toute notre histoire. Nous avons tous ici souffert de la répression » continue Patricia qui a composé la plupart de ses chansons lors de ses passages dans la « cellule disciplinaire ».


« Nous espérons encore… »


Depuis quatre ans, Elsa, Anibal, Graciela, Patricia, Daniel, Mario, Adrian et les autres sillonnent le pays et se produisent dans des écoles et dans plusieurs anciens centres de détention aujourd’hui transformés en musée pour la mémoire. Un moyen de sensibiliser, à travers la chanson, la société argentine et plus précisément la jeune génération, sur cette période sombre du pays. Leur chef de cœur, Jorge, frère de disparu, est décédé en 2014 : une énième épreuve à surmonter… Un nouveau chef de chœur a pris le relais. « Nous espérons pouvoir continuer le Coro Quiero Retruco et renaître de nos cendres comme un phoenix » soupire Elsa avant de prendre son souffle pour entonner en chœur avec ses camarades le refrain de « Todavía Cantamos » de Victor Heredia, artiste engagé, fervent défenseur des droits humains en Argentine : « Nous chantons toujours, nous rêvons encore, nous réclamons et nous espérons encore… ».

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